La VAE collective

La validation des acquis d’expérience (VAE) se révèle plus engageante dans sa forme collective, en fédérant plusieurs collaborateurs dans cette même démarche. Retour d’expérience de Carrefour Market.

Le sujet est d’actualité : le projet de loi El Khomri prévoit de simplifier l’accès au dispositif de Validation des Acquis d’Expérience (VAE), c’est-à-dire la possibilité pour un salarié d’obtenir une certification, le plus souvent diplômante, « entérinant » le parcours professionnel déjà effectué. « Jusqu’alors, la VAE était avant tout une démarche portée individuellement par un collaborateur souhaitant évoluer professionnellement », observe Dominique Lemaire, directeur du réseau IFAG qui a diplômé de nombreux salariés via la VAE individuelle et qui, depuis près de trois ans, accompagne des groupes comme Carrefour et Decathlon dans la mise en place de cursus de VAE collective.

Dans sa forme collective, la VAE reste une démarche basée sur le volontariat – c’est un souhait émanant du collaborateur lui-même – mais le cursus de formation est suivi au sein d’un groupe de salariés d’une même entreprise et occupant des postes similaires. Une des mesures du projet de réforme du Code du Travail vise justement à développer la VAE sous cette forme. « La VAE collective crée un esprit de promotion, cela fédère plusieurs individus dans un même projet, avec tout ce que cela suppose d’entraide, d’encouragement… Cela donne une autre dimension à la VAE qui reste un engagement somme toute assez lourd, puisqu’il s’agit d’une démarche sur environ dix-huit mois », explique Marie-Hélène Chavigny, DRH de Carrefour Market.

L’entreprise a adopté la VAE collective depuis 2014 : 50 collaborateurs en ont bénéficié cette année-là. Ils étaient une cinquantaine en 2015. L’enseigne a pour ambition de former une centaine de personnes par ce biais chaque année. « Ce dispositif est une sorte de point d’orgue de notre politique globale de formation », précise la DRH. En effet, la VAE collective vient compléter une palette de cursus mise en place par Carrefour Market. « Etre plusieurs, ça change tout : on se challenge, mais surtout on s’aide, on s’épaule », confirme Éric Élisabeth, directeur régional de Carrefour Market dans les Yvelines.

Entré chez Carrefour France, comme caissier, il y a plus de 20 ans, Éric Élisabeth a depuis « gravi tous les échelons » : chef de rayon, chef de secteur, directeur de magasin et, aujourd’hui, directeur de région. « La VAE valorise ces 22 années passées chez mon employeur et toutes les compétences que j’ai pu y acquérir », dit-il. Aujourd’hui âgé de 45 ans, titulaire d’un BTS, Éric Élisabeth a souhaité participer à ce programme lorsque son fils, baccalauréat en poche, s’est lui-même lancé dans des études supérieures. « C’est une charge de travail supplémentaire, c’est un engagement sur le long terme. Mais le fait d’appartenir à une promotion permet d’être sans cesse remotivé, remobilisé », constate-t-il.

En outre, les participants mettent leurs expertises respectives au service des autres. « Récemment, l’un d’entre nous butait pour la rédaction d’une fiche. Nous sommes un groupe de 14, directeurs de magasin, directeurs de région et responsables de services : chacun a fait part de ses connaissances pour aider le confrère », raconte Éric Élisabeth. La finalité de la VAE, qu’elle soit individuelle ou collective, reste la même : le développement de l’employabilité, ce qui suscite un très fort sentiment de reconnaissance. « Le bénéfice est double. D’un point de vue personnel, c’est très valorisant de pouvoir être éligible à un master. D’un point de vue professionnel, c’est une marche supplémentaire pour l’évolution au sein de l’entreprise », indique le directeur de région.

« Nous sommes au début de notre démarche dont il est encore trop tôt pour en mesurer tous les impacts. Mais les effets induits sont déjà assez clairs comme le sentiment de fierté d’appartenir à une entreprise qui pérennise l’emploi et fait grandir ses collaborateurs. C’est un vecteur de fidélisation », estime Marie-Hélène Chavigny. Chez Carrefour Market, plusieurs populations sont concernées : les employés de commerce ayant un niveau CAP ou un Bac Pro Commerce, les managers de magasins et les cadres. A chaque fois, le cursus se déploie en deux temps : d’abord une formation théorique, avec des modules dispensés en présentiel. Puis des ateliers pratiques où s’opère cette fameuse alchimie collégiale tant plébiscitée par les participants.

Des freins existent néanmoins. « Côté collaborateur, la VAE suppose un investissement sur le long terme qui va de facto impacter la sphère privée. D’où la nécessité d’avoir un conjoint qui est partie prenante de la démarche. S’ajoute à cela la peur de l’échec », souligne Dominique Lemaire. Côté entreprise, la VAE représente un coût, variant de 2.500 € à plus de 4.000 € (par participant, pour un programme de 18 mois), mais les organisations qui encouragent ce choix auprès de leurs collaborateurs y voient avant tout un axe fort de leur politique globale de formation et même un pilier de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). « La VAE collective illustre une autre tendance de fond : l’individualisation des parcours de formation, construits désormais comme une réponse concrète et opérationnelle aux besoins du collaborateur et de l’entreprise », pointe Dominique Lemaire qui estime que l’avenir s’obscurcit pour les formations catalogue…

Source : http://business.lesechos.fr/